Ces villes qui nous habitent
Monia Mazigh
ONFR+, le 19 novembre
Chaque samedi, ONFR+ propose une chronique sur l’actualité et la culture franco-ontarienne. Cette semaine, place à la littérature avec l’autrice Monia Mazigh.
[CHRONIQUE]
Il y a quelques années, je suis tombée par hasard sur l’un des livres du célèbre romancier turc Orhan Pamuk, lauréat du prix Nobel de littérature en 2006. Cette chose étrange en moi est un livre qui nous entraine dans la ville d’Istanbul depuis ses anciens quartiers bourgeois arméniens et grecs jusquʹaux premiers quartiers anarchiques ou gecekondu, maisons construites en une nuit sur des terrains de lʹÉtat, sur les collines avoisinantes qui sʹetendent à perte de vue sur la rive asiatique du Bosphore.
La mégalopole est classée comme la ville au monde où les conducteurs passent le plus de temps à attendre dans leurs voitures. Mais ce qui m’a le plus captivée dans ce roman de Pamuk, ce sont les rues et les ruelles ainsi que la métamorphose du paysage urbain de toute la ville que l’on ressent à travers les déambulations noctambules d’un de ses résidents, rêveur éternel, Mevlut.
Ce personnage principal, venu du fin fond de l’Anatolie et vendeur de yaourt et de boza, une boisson ancienne turque faite à base de céréales fermentées et qui parcourt cette ville à pied, une barre de bois sur les épaules et à ses extrémités pendent deux sceaux remplis de yaourt et de boza et sa voix qui appelle les habitants, généralement les femmes, dans leurs appartements, pour vanter les mérites de ses produits et les vendre.
Le livre de Pamuk nous peint la ville avec beaucoup de détails et de style depuis 1969 jusqu’à 2012. Des vagues successives de migration et d’exil : ceux qui arrivent, attirés par les affaires et la prospérité et ceux qui partent, chassés par la politique ou les conflits.
Malgré sa naïveté et son peu d’éducation, Mevlut réussit à nous décrire avec beaucoup d’amour et de tendresse cette ville historique qui se réveille de sa torpeur en embrassant la modernité… « Déambuler la nuit dans les rues de la ville lui donnait l’impression de se promener dans sa propre tête. »
QUAND LA VILLE ET LE PERSONNAGE NE FONT QU’UN
Maintes fois dans le texte de Pamuk, nous avons l’impression que la ville, Istanbul, et le personnage, Melvut, ne font qu’un. C’est un peu ce que j’ai ressenti en terminant la lecture de Nouveaux contes sudburois, écrits par un collectif d’auteurs originaires ou résidents à Sudbury.
Dans la préface du recueil, Norman Renaud, animateur radio et auteur de la région, écrit : « À Sudbury, j’habite une enclave d’une demi-douzaine de rues dont les noms sont on ne peut plus canadiens-français. Brébeuf et d’Youville, Montcalm et Lévis ». Sans nécessairement déambuler dans les rues de cette ville du Nord de l’Ontario, on comprend inéluctablement son riche bagage historique mais surtout sa francophonie.
Que ce soit en compagnie de Miriam Cusson qui parle des membres de sa famille qui se sont installés dans ce Grand Nord, de cette terre défigurée par les météorites et les hommes ou encore plus par les camions à dix-huit roues qui transportent la roche et font trembler le sol sur leur passage ou avec Marie-Thé Morin, dont le personnage principal se promène dans les rues de Sudbury.
« Elle sʹest plantée devant l’ancienne gare pis elle a pointé à ma droite. Pis là, j’ai vu des affaires anciennes qui existent pus, le vieil hôtel King Edward, des personnages qui sortaient de la vielle gare pis qui s’en allaient direct à l’hôtel ». On est entièrement habité par cette ville et par ces personnages parfois bizarres mais toujours attachants.