Comment se fait-il que des centaines de francophones brillants et brillantes, qui prennent la tête de toutes sortes de grandes sociétés d’État, d’organisations nationales, de ministères, d’associations pancanadiennes, de partis politiques, bref, de tas de postes tous plus relevés les uns que les autres, réussissent, en plus de maitriser leur travail, à parler un anglais absolument correct, pour ne pas dire impeccable? Alors qu’en retour, une quantité inexplicable de gens tout aussi formidablement compétents pour diriger les mêmes ministères, associations, partis, etc, eux, sont incapables de parler un français potable?
Ce sont des citoyens exemplaires à mille égards, des créatifs, des gestionnaires hors pair, des réinventeurs de tout, mais parler français? Ça non. Pas possible.
La réponse est simple : ces gens ne parlent pas français parce qu’ils ont le choix de ne pas le parler. Et qu’ils mettent donc leur énergie ailleurs.
Pourquoi font-ils ce choix?
Là, les réponses sont plus compliquées. Et plus nombreuses.
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Mais la question, qui ne se l’est pas posée en écoutant le Commissaire aux langues officielles, Raymond Théberge, qui remettait son rapport annuel mardi ou en entendant aux nouvelles dire qu’untel ou une autre – en commençant par le président d’Air Canada ou du CN, la lieutenante-gouverneure du Nouveau-Brunswick ou encore cette semaine quatre nouveaux hauts fonctionnaires à la Ville d’Ottawa – ne parle pas français.
Ces gens peuvent gérer une entreprise gigantesque, envoyer des gens dans le ciel ou sur des réseaux complexes de rails à travers l’Amérique, mais construire une phrase dans la langue de Gabrielle Roy? Impossible.
Voyons! Ils ne sont pas nonos.
Même chose pour les hauts-fonctionnaires fédéraux qui ne parlent pas français et qui ne veulent même pas l’admettre spontanément! Le Droit a déjà parlé du problème. Cette information est dite « confidentielle »! Quelle aberration!
Et surtout, quelle absurdité que tout cela soit tabou. Qu’on doive presque s’excuser de demander à des personnes aux responsabilités importantes, publiques, de savoir parler la langue d’une portion cruciale de la population.
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En 2021-2022, le nombre de plaintes au Commissaire aux langues officielles a explosé. Il a plus que doublé, en bondissant de 1870 à 5409. Pourquoi? À cause de la nomination d’une gouverneure générale, Mary Simon, qui ne parle pas français, mais qui a au moins le mérite de parler inuktitut, une autre langue importante du pays, pour d’autres raisons.
Cela dit, la source du plus grand nombre de plaintes n’est pas celle qui a fait face à ses propres enjeux de non-respect de sa culture, puisqu’elle est d’origine inuite.
La principale source des plaintes est le président directeur général d’Air Canada, Michael Rousseau, qui pilote la principale société de transport canadienne – soumise à la Loi sur les langues officielles – et surtout celle que nous n’avons souvent pas le choix de prendre vu son statut historique et prépondérant sur le marché. M. Rousseau ne parle pas français.
Ça, les francophones ne l’ont pas pris.
Avec raison.
Comment est-ce possible qu’une personne dans un tel poste puisse croire, profondément, que ce n’est pas grave de ne pas parler français? Et ne me dites pas qu’il en est gêné. S’il l’était, il le parlerait déjà. Il aurait appris l’autre langue officielle comme tous les francophones qui ont atteint ou aspiré, un jour, à avoir un poste d’une telle importance. Étaient-ils tous des génies pour être capables, eux, de parler une seconde langue ? Non.
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Que faire, donc, pour changer la donne linguistique au Canada, pour normaliser le bilinguisme dans les hautes sphères pour que cela aille de soi ?
Le commissaire aux langues officielles, a dit au Droit qu’il faudrait peut-être officialiser le bilinguisme obligatoire du poste de premier ministre. Le premier leader. Bonne idée.
Mais surtout, arrêtons d’en faire un tabou. Le bilinguisme, on a le droit de l’exiger.