MARIE-CLAUDE LORTIE
Rédactrice en chef, Le Droit
Le 22 septembre
ÉDITORIAL / Le président Joe Biden a livré un discours à la nation saisissant jeudi soir, à deux mois des élections américaines de mi-mandat, où il a dit haut et fort qu’il sʹinquiétait de lʹavenir de son pays.
«Lʹégalité et la démocratie sont attaquées», a-t-il dit en substance, en visant Donald Trump et de toute la mouvance qui soutient l’ex-président et son rejet du résultat du scrutin de 2020. «Il n’y a pas de place pour la violence politique.»
Dieu merci, ni le Québec, ni le Canada, ne vit quelque chose d’aussi extrême et d’aussi troublant que ce qui se passe aux États-Unis, où un parti institutionnel traditionnel est encore derrière cet ex-président rejetant l’autorité des institutions définies par la Constitution américaine.
Ici, personne nʹa envahi lʹenceinte où travaillent nos élus, comme ce fut le cas aux États-Unis en janvier 2021. Et personne de sensé ne dit et ne croit que les résultats de nos élections ne sont pas valides.
Mais ça ne va pas parfaitement bien non plus.
Violence verbale, vandalisme, menaces très graves proférées à lʹendroit de journalistes et dʹélus canadiens, incidents de harcèlement – comme ceux vécus par la vice-première ministre Chrystia Freeland la semaine dernière ou ceux rapportés par la mairesse de Calgary Jyoti Gondek ou Valérie Plante à Montréal et les candidats aux élections québécoises comme les libéraux Marwah Rizqy et Enrico Ciccone ou le caquiste Sylvain Lévesque.
Et cette liste est loin dʹêtre exhaustive.
Que se passe-t-il?
Actuellement, ces dérapages au Québec sont particulièrement gravissimes car ils visent le pilier de nos institutions démocratiques, notre processus électoral.
Mais tout commence dès le petit matin. Les coups de klaxon aussi agressifs quʹinterminable. Les mots lancés comme des grenades par de purs étrangers, dans la rue, et qui ne se répètent pas ici. Des propos pas plus insoutenables publiés sur les réseaux sociaux.
Qu’est-ce qui a déclenché toute cette colère? Et qui a dit à tous ces éternels fâchés, qu’il était permis de lʹexprimer ainsi?
Le chef du parti conservateur québécois, Éric Duhaime, croit qu’il faut prendre cette «grogne» et lʹamener.à lʹAssemblée nationale.
Quelle triste idée!
Les Américains ont amené la leur à la Maison-Blanche et ça n’a strictement rien donné d’autre que plus de «grogne».
Les électeurs n’ont pas besoin de colère pour parler en leur nom, ils ont besoin de solution. À la crise climatique, à la situation économique. Ils ont besoin de soins de santé, d’écoles qui fonctionnent bien pour leurs enfants.
Être en maudit ne sert jamais à faire ça.
Vous me permettrez de comparer les manifestants camionneurs aux partisans de Trump et à tous les enragés qui appuient les mouvances politiques de la colère à des enfants qui «font le bacon» par terre.
Ils font du bruit, ils dérangent tout le monde et se font remarquer. Mais côté solutions, ils n’accomplissent absolument rien.
Parce que les solutions passent par la bienveillance et le compromis.
Jusquʹà maintenant, en 2022, la Sûreté du Québec dit avoir reçu 221 plaintes portées par des élus qui ont reçu des menaces. Contre 16 en 2019. L’explosion de ces statistiques a commencé en 2020, avec la mise en place des mesures liées à la pandémie.
Mais est-ce la pandémie qui a rendu tous ces gens hystériques, voire violents, verbalement ou autrement, ou est-ce qu’elle a servi de prétexte pour exprimer une colère qui était là depuis bien plus longtemps, celle qu’on a vu au grand jour en 2016, avec l’élection de Trump aux États-Unis?
Sans laisser la «grogne» entrer au cœur de nos institutions, là où on cherche à aider et non à ventiler, il y a certainement lieu de se poser d’importantes questions sur la canalisation de cette énergie avant qu’elle ne cause des dégâts aussi graves que chez nos voisins du sud.
Aujourd’hui, des libertés fondamentales comme la liberté et l’égalité y sont en péril, parce que des furieux ont mis en place un des leurs à la tête du pays et que celui-ci s’est empressé de contaminer toutes les institutions, en commençant une des plus fondamentales, la Cour suprême, devenue bombe à retardement. Les dommages causés sont déjà gigantesques.
On ne peut pas courir ce risque.
Il faut donc trouver des façons dʹentendre les doléances des plus colériques, leur faire comprendre qu’ils sont écoutés et qu’ils sont compris. Leur offrir de faire partie de la solution, positivement, sans hurler, en réfléchissant et en faisant des compromis.
La recherche en psychologie montre que 90% des événements violents sont précédés par de la colère, on sʹen doutait. Mais que seulement 10% des moments de colère finissent en gestes ou en paroles violentes. C’est peu, mais c’est quand même trop.
Ignorer les fâchés ne les rendra jamais moins dangereux. Trouvons comment la démocratie peut les calmer autrement qu’en célébrant leurs hauts cris.