La rançon
David Dagenais, Francopresse
le 29 avril 2023
Vous pouvez écouter une narration de cet article sur le site de Francopresse.
CHRONIQUE – On connaissait déjà depuis la mi-mars l’intention de Volkswagen de construire une usine de batteries pour véhicules électriques à St. Thomas dans le sud-ouest de l’Ontario. On connait maintenant la rançon payée par les gouvernements pour répondre au chantage du deuxième plus grand constructeur automobile au monde : 13,7 milliards de dollars.
Lʹusine de St. Thomas devrait être opérationnelle en 2027 et pourrait créer jusquʹà 3 000 emplois. Une petite règle de trois permet vite de conclure que chacun de ses présumés emplois coutera un peu plus de 4,5 millions de dollars. Ça fait cher la job… mais il serait réducteur d’analyser cette subvention seulement à la lumière des emplois créés.
Parier sur l’effet structurant
L’objectif du gouvernement fédéral est de créer un maillon clé de la chaine de production des véhicules électriques au pays. Le Canada est déjà un joueur majeur dans l’industrie automobile nord-américaine, mais rien ne garantit que cette position enviable se perpétuera avec l’électrification du secteur.
Les batteries sont la principale composante technologique des véhicules électriques. Le Canada a les ressources nécessaires à la production des cellules de batteries – lithium, graphite, cobalt, etc. –, mais sans une industrie de transformation locale de ces composants, le pays risque de devenir un simple exportateur de matières premières et de passer à côté de la plus-value importante générée par leur transformation.
Plus de 75 % des batteries conçues pour les véhicules électriques dans le monde sont produites en Chine. La domination chinoise sur toute la chaine de production est sans commune mesure.
C’est donc la crainte de devenir une simple succursale minière qui a poussé le gouvernement fédéral à sortir le chéquier. À cette raison sʹajoutait aussi la concurrence créée par les Américains avec leurs subventions à cout de centaines de milliards de dollars au secteur des énergies vertes.
L’Inflation Reduction Act américain adopté à l’été 2022 pose un défi unique au Canada. C’est que les Américains ont prévu de généreuses subventions à la production ; le gouvernement octroie un montant pour chaque éolienne, panneau solaire, voiture électrique qu’une entreprise produit.
Traditionnellement, le gouvernement canadien subventionne les investissements en capitaux ou en recherche et développement des entreprises. Vous voulez construire une usine ou remplacer votre machinerie, vous obtenez un crédit dʹimpôt.
Ce type de subvention est moins onéreux et plus propice à générer des investissements à long terme, mais leur montant total est bien moins grand que ce qui est prévu dans la loi américaine.
Le gouvernement Trudeau a donc décidé de jouer à armes égales avec Washington et prévoit des subventions à la production pour lʹusine de Volkswagen, ce qui fait gonfler la facture.
D’un autre côté, Ottawa a limité ses risques en prévoyant une clause d’arrimage de ses subventions à celles des États-Unis. Si le gouvernement de lʹOncle Sam change et revoit à la baisse le montant de son aide financière, les sommes versées par Ottawa à Volkswagen seront réduites dʹautant.
Un jeu risqué
Néanmoins, le jeu est risqué pour le gouvernement fédéral qui allonge l’essentiel de lʹargent. Il avance des retombées de 30 000 emplois indirects, des investissements dans l’extraction des matières premières, dans le développement des piles qui composent les batteries ou dans l’assemblage de véhicules, mais rien ne garantit que tous ces investissements se réaliseront.
Vous vous attendriez peut-être à ce que les gouvernements examinent attentivement si les subventions sont rentables avant de distribuer des milliards de dollars à une entreprise privée comme Volkswagen.
Les plus cyniques d’entre vous ne seront pas surpris dʹapprendre qu’il n’en est rien.
Le gouvernement ne fournit aucune information à ce sujet. La littérature économique nous met en garde contre ce genre de subvention, mais de s’attarder sur ces questions rationnelles et scientifiques serait mal comprendre la nature de la bête.
Dans les secteurs économiques mondialisés comme l’automobile, non seulement les entreprises magasinent les subventions, mais elles en tiennent compte dans leur cout de production.
Les gouvernements nationaux sont divisés en deux camps : soit ils sont dans le groupe des pays qui peuvent compétitionner pour obtenir lʹusine, soit ils sont dans le groupe des pays moins développés qui ne peuvent pas se le permettre.
On peut certainement déplorer cette situation qui donne un pouvoir démesuré aux grandes multinationales, mais cʹest un fait.
Ce qui n’empêche pas de se demander si le Canada peut se permettre de jouer ce jeu.
Il y a deux grands joueurs dans le secteur des énergies vertes. La Chine a un avantage concurrentiel évident, avec son gouvernement totalitaire qui dirige ses énormes ressources où bon lui semble et qui fait peu de cas des droits des travailleurs ou de l’environnement.
De l’autre côté, les États-Unis peuvent se permettre de payer la facture à cause du rôle du dollar américain comme devise de réserve. Il n’y a presque aucune conséquence aux déficits budgétaires astronomiques que Washington accumule année après année.
Le Canada n’est pas du même calibre. Le gouvernement fédéral fait cependant le pari qu’il peut compétitionner coup pour coup dans des secteurs précis de l’économie.
Espérons qu’il ait raison, parce que le nombre de subventions de cette ampleur qu’Ottawa peut sortir de sa bourse est limité. Le Canada n’a pas le luxe de manquer son coup dans ce genre de jeu.
David Dagenais est journaliste économique indépendant et entrepreneur. Auparavant, il a été journaliste à Radio-Canada après des études supérieures en économie politique à l’Université du Québec à Montréal et à l’Université d’Ottawa.