La télé, un média vieillissant?
Richard Therrien, Le Soleil
Selon ThinkTV, association de marketing et de recherche vouée à l’avancement de la télévision commerciale, les 18-34 ans ont consacré l’automne dernier en moyenne 11,2 heures par semaine à l’écoute de la télévision, que ce soit en direct ou en rattrapage.
Dans leur temps accordé au divertissement, YouTube arrive en deuxième place avec huit heures par semaine, suivi de loin par Facebook (1,9 heure), puis par Instagram et TikTok (1,5 heure).
Chez Bell Média, Suzane Landry souligne que Noovo atteint chaque semaine plus de la moitié des 18-34 ans Québécois francophones, alors que les plateformes Noovo.ca et l’application Noovo joignent 37 % d’entre eux.
«Il y a une hausse fulgurante des visionnements sur Internet, mais ça s’additionne aux autres contenus télé», précise la vice-présidente, développement de contenu, programmation et information.
Moins marquée qu’on le dit, il existe tout de même une tendance générale dans l’écoute de la télévision traditionnelle. «La moyenne d’âge des chaînes généralistes dans le monde est de 55 à 63 ans. Noovo est à 48 ans. Quand on offre un contenu qui rejoint les intérêts des 18-34, qui présentent une certaine audace et une signature de qualité, on est capable de les rejoindre.»
Elle souligne d’ailleurs que sur Crave, derrière la série la plus regardée par les jeunes adultes, Euphoria, un produit HBO, apparaissent deux titres québécois, Aller simple et Pour toujours, plus un jour.
La présidente-directrice générale de Télé-Québec, Marie Collin, connaît bien ce groupe cible. Alors qu’elle était chez Astral Média, elle a lancé en 2000 la chaîne Z, qui s’adressait directement aux jeunes adultes.
Elle rappelle que les 18-34 ans ont toujours été plus difficiles à attirer vers la télévision que les autres groupes d’âge.
«Ils sont moins loyaux à un média. Ils suivent la dernière tendance. On ne peut pas les garder longtemps au même endroit. Quand on a lancé Ztélé, nous avions des parts de marché record avec eux. Ça a duré un semestre et ils sont partis», se souvient-elle.
En observant les auditoires de Télé-Québec, Marie Collin remarque une tendance à la baisse de fréquentation des 18-34 ans, mais pas de façon marquée.
Comme d’autres réseaux, le diffuseur public déploie des efforts afin d’intéresser les jeunes adultes, notamment par la compétition de rap La fin des faibles, en ajoutant Rosalie Bonenfant au duo de Deux hommes en or et la jeune reporter Julia Pagé à l’équipe de Ça vaut le coût, en plus de confier le magazine En ligne à Mehdi Bousaidan.
«L’air d’aller, notre nouvelle fiction la saison prochaine, affichera aussi un casting jeune», poursuit Marie Collin.
N’empêche, elle s’inquiète du léger mais constant déclin chez les 18-34. «Ma plus grande inquiétude, c’est que les parents ne fassent pas découvrir les produits audiovisuels d’ici à leurs enfants.
«Les produits jeunesse permettent aux enfants de s’intéresser à notre culture, à nos vedettes. Ils reflètent les valeurs de la société québécoise, de la réalité d’aujourd’hui. Si leurs parents ne les amènent pas vers nos contenus, ils vont écouter des émissions traduites ou en anglais.
«Dans certains milieux, la télé, c’est souvent le seul produit culturel auquel les enfants ont accès avant d’aller à l’école, où ils vont ouvrir leur premier livre. C’est leur premier lien avec la culture d’ici», rappelle Marie Collin.
Québecor dit avoir vu venir le coup en créant le Club illico il y a plus de 10 ans. «Notre objectif premier était et demeure toujours de rejoindre les différents publics, dont les 18-34, là où ils se trouvent et de leur permettre de consommer le contenu de la façon qui leur convient le mieux», affirme par courriel Véronique Mercier, vice-présidente communications.
L’entreprise dit vouloir sensibiliser les administrations publiques, dont le CRTC, et les gouvernements, incluant le Ministère canadien du Patrimoine, «aux conséquences majeures subies par l’industrie canadienne de la production et le milieu culturel québécois».
Le directeur de l’École des médias de l’UQAM, Pierre Barrette, observe pour sa part un net déclin de désabonnement à un service de télévision chez les 18-34 ans, qu’on surnomme les cord-cutters. «Les gens abonnés au câble appartiennent massivement à la catégorie des 50 ans et plus. Les jeunes ont découvert de nouveaux moyens de regarder leurs contenus en ligne.»
Si ce groupe d’âge se laisse beaucoup charmer par l’offre de contenus internationaux, c’est simplement parce qu’ils sont accessibles. «Quand j’avais 25 ans, si j’avais voulu regarder des séries allemandes ou suédoises ou des téléréalités hollandaises, je n’y aurais pas eu accès.
«La manière dont ils envisagent leur menu de consommation n’est pas du tout organisée de la même manière que nous [les plus de 35 ans], par un horaire. Ils consomment ce qui est offert au moment où c’est offert.»
Malgré la tendance, les jeunes adultes prisent toujours le direct «pour des rendez-vous très précis, comme Occupation double, Big Brother célébrités, Star Académie, Révolution, parce qu’ils passent à ce moment-là.»
La désertion, même lente, des jeunes est-elle irréversible? «Il y a 10 ans, je répondais : attendez que ces jeunes-là ne soient plus en appartement avec leurs colocs, mais qu’ils se soient acheté une maison ou un condo avec des enfants; vous allez les voir revenir vers un mode de consommation plus traditionnel.
«Aujourd’hui, je le dirais plus du bout des lèvres. J’ai l’impression que ces gens-là ne reviendront peut-être jamais à cet ancien modèle.»
Alors que le milieu de la télévision redoute un recul de la culture québécoise chez les futures générations, Pierre Barrette se montre un peu plus optimiste, pensant à ses propres enfants. «[Les adolescents] n’ont pas abandonné pour autant la télévision qui leur est destinée, en français, qui parle de leur réalité.
«Ils sont très intéressés par les contenus québécois qui se passent dans les polyvalentes ou parlent de leurs préoccupations, ça les interpelle. Ils ne les regarderont peut-être pas le jeudi à 18h30 quand ça passe à Télé-Québec, mais ils vont les trouver sur leur plateforme et s’y attacher davantage qu’aux contenus américains, qui les rejoignent moins.»